28 nov. 2011

Omer, l'Amiral de l’Émirat


De la racine sémitique 
/*amr/ qui signifie « dire, commander » provient le verbe hébreu אמר /amar/ « dire, parler, commander » à l'origine du nom des Amorites אמרי /amori/ et du prénom juif אמר Omer ou Omar « celui qui parle ».

Dia Mirza
C’est aussi à cette racine que se rapporte le verbe arabe امر /āmara/ « ordonner » duquel provient le mot امير /āmīr/ qui signifie « émir, prince ». C’est bien évidemment de ce mot que nous avons tiré émir et émirat (إمارة /īmārat/) qui prend alors le sens littéral de « principauté ». Les Emirats sont dirigés par un émir et la communauté musulmane sunnite est guidée par un homme qui prend le titre de أمير المؤمنين /āmīr al-mūminīn/ « le commandeur des Croyants » actuellement incarné par le roi du Maroc. 
Les Persans appelaient Mirza une personne d’ascendance royale, amirzadeh signifiant « fils (/zâd-/) d’Emir » et ce nom est resté comme titre nobiliaire dans différentes parties d’Asie (Inde moghole, Asie centrale, Russie…) On le trouve comme patronyme en Inde chez la joueuse de tennis Sania Mirza ou l’actrice Dia Mirza.

C’est sur ce type de construction (amir al…) que l’on a construit le mot amiral qui pouvait être à l’origine أمير العالي /āmīr al-cāly/ « émir du très grand (océan ?) »  mais plus probablement أمير البحر /āmīr al-baḥr/ « émir de la mer » comme c’est encore le cas en arabe moderne ou en ourdou pour désigner un amiral.



27 nov. 2011

Izetbegović, le bey ouzbek de Beyşehir




Le mot turc bey est un titre honorifique désignant à l’origine un chef tribal. Au fur et à mesure de l’expansion de la culture turco-mongole, ce titre a couvert les diverses fonctions de maître, gouverneur, seigneur, jusqu’à l’équivalent de ce qui allait devenir le sultan de l’empire ottoman. Aujourd’hui en Turquie, bey comme son équivalent beyefendi signifie simplement « monsieur », bayan étant sa féminisation « madame ». Ce mot se retrouve dans plusieurs toponymes de l’actuelle Turquie tels que Bey Dağ « montagne du Bey » ou Beyşehir « cité du Bey ». Il est par ailleurs utilisé comme nom de famille dans de nombreux pays musulmans.



bégum Mumtaz 
En parallèle, ce mot bey a possédé un synonyme phonétiquement proche prononcé /beg/ ou/baig/. On en trouve la trace dans le mot turc begüm bégum. La bégum était un titre royal qui a fini par désigner toute musulmane d’ascendance noble. Aujourd’hui, ce mot est porté par la bégum Khaleda Zia, veuve de l’ex-président bengali Zia-Ur-Rahman et devenue premier ministre du Bangladesh ou par la bégum Inaara, femme de l’Aga Khan. Ce terme a été popularisé en Occident par le roman de Jules Verne Les Cinq Cents Millions de la bégum


Au 14ème siècle, un prince mongol de la Horde d’Or régna sous le nom d’Özbeg. On trouve dans son nom, en plus du titre beg, le mot turc öz qui signifie « le fond, la quintessence ». Le peuple ouzbek doit son nom à ce bey ainsi que leur pays l’Ouzbékistan qui porte le suffixe persan /–stan/ « pays ». Il s’écrit O'zbekiston en ouzbek et Özbekistan en turc. 


Özbeg n’est évidemment pas le seul patronyme dans lequel apparaît le mot beg, on le retrouve dans d’autres noms des Balkans. C’est par exemple le cas de Izetbegović, nom dans lequel ović /ovitš/ est un suffixe slave qui signifie « fils de ». Izetbegović est donc le « fils du bey Izet » et il a été porté par Alija Izetbegović président de la Bosnie-Herzégovine de 1990 à 1996. 

Certains linguistes font dériver bey d’un mot issu du moyen chinois voisin du mandarin 百 bǎi ou du cantonais /baak3/ qui signifient « cent, un grand nombre ».

24 nov. 2011

Zolotov le rupin plein de roupies et de złotys


Pour de nombreuses monnaies, le nom du métal qui entre dans la composition des pièces va lui donner son nom. On en a l’exemple dans le français qui utilise le mot argent aussi bien pour nommer le métal que la monnaie.

 De la même façon, le polonais złoto « or » a servi à nommer la monnaie polonaise zloty « doré » (cf patronyme slave Zolotov) comme le hindi utilise le mot रुपया /rūpyā/ pour nommer la roupie (utilisée en Inde, au Pakistan, en Indonésie, au Sri-Lanka, au Népal, aux Seychelles, à l’île Maurice ou aux Maldives). Le mot roupie provient du sanskrit रुपय/rūpya/ « argent », voisin de la rromani (langue tzigane) rup « argent » mot qui aurait donné le français rupin, entré dans le langage familier grâce aux Gitans. 
Le sanskrit possède aussi le mot /rupīn/ qui signifie « beau, joli » et c’est même un prénom utilisé en Inde.

Depuis juillet 2010, la roupie possède un nouveau symbole graphique composé du mélange de la lettre latine R et de la lettre र /rdevanagari (alphabet du nord de l'Inde).






Marabout almoravide à Rabat


Le ribat رباط /ribāṭ/ était un couvent-école dans lesquels les moines-soldats soufis, les marabouts مربوط /marbūṭ/ étaient en poste. Les ribats étaient placés aux endroits stratégiques de l’empire pour le défendre contre les attaques étrangères. L’un d’entre eux a donné son nom à la capitale marocaine Rabat, de son nom complet رباط الفتح /ribāṭ al-fatḥ/ « ribat de la victoire » mais aussi à un village de l’île de Malte. 

Ces moines-guerriers, les marabouts ont donné leur nom à une dynastie berbère, celle des المرابطون  Almoravides qui régna au 11ème siècle sur l’ouest du Maghreb et sur l’Andalousie. Cette dynastie a frappé une monnaie qui a porté son nom altéré sous la forme maravédis qui va devenir le nom d'une monnaie espagnole.

La notion de marabout tourne autour de l'idée d'ascétisme, de sagesse et de sainteté et en Afrique on lui prête des pouvoirs magiques qui vont mener au mot marabouter.

Un naturaliste du nom de Temminck a nommé marabout un oiseau échassier du genre Leptoptilus, peut-être parce que la posture de l’oiseau fait penser à un musulman en prière.





21 nov. 2011

Goudron au Qatar


Parce que le français a utilisé un temps le mot « goudron de pétrole » pour désigner le bitume ou l’asphalte, c’est une erreur courante de confondre le goudron avec ces différents matériaux utilisés pour le revêtement des routes. Comme l’espagnol alquitrán, le portugais alcatraõ ou le provençal enquitrana « englué », c’est à l’arabe قطران /qaTrān/ « goudron » qu’a été emprunté notre mot français. Il provient lui-même de la racine arabe قطر /qaTura/ « distiller » à laquelle on pourrait rattacher l’hébreu קטר /qitare/ « encens » et peut-être même l'origine du nom du قطر Qatar.

17 nov. 2011

Tantra et Kama-sutra


Du radical indo-européen *ten « étirer » proviennent les mots français tendre, tendon ou tétanos mais aussi la racine sanskrite तन /tan/ « allonger, étendre » de laquelle vient le mot tantra. Le tantra (adjectif tantrique) est un principe religieux auquel se réfère aussi bien l’hindouisme que le bouddhisme ou le jaïnisme. Dans son sens figuré, le mot sanskrit तंत्र /tantra/ signifie « doctrine, livre dans lesquels ont été consignés des enseignements » mais dans son sens premier il désigne le « métier à tisser » et la « chaîne du tissu ». Cette proximité entre la chaîne d’un tissu et le livre ne devrait pas nous paraître étrangère puisque notre mot texte provient directement du latin texere « tisser ». 

Dans la continuité de ce lexique textile, le mot सूत्र /sūtra/ sutra a le sens de « fil », le fil qui vient compléter la trame du tissu, un texte qui vient parachever le tantra. Son nom est issu de la racine indo-européenne *syu « coudre » comme en provient le français suture. Les sutras désignent autant les aphorismes que leur compilation dont la plus réputée en Occident est certainement est certainement celle nommée Kâma-Sûtra.

         Le कामसूत्र  /kāma-sūtra/ est donc le sutra de Kama काम « désir », le dieu hindou de l’amour. Son nom est - comme le français caresse - tiré d’une racine indo-européenne, du radical * qui signifie « amour, désir ». Kama possède un arc fait d’une tige de canne à sucre qui tire des flèches de fleur qui excitent le désir amoureux. On voir ici sa similitude – comme il y en a beaucoup d’autres - avec les religions grecques et romaines qui décrivent Eros et Cupidon décochant ses flèches envoûtantes. La rédaction du Kâma-Sûtra est d’ordinaire attribuée à l’Indien Vâtsyâyana qui donne dans cet ouvrage les recettes du bien-être conjugal, les positions sexuelles ne formant qu’un chapitre du livre.

15 nov. 2011

Sucre et crocodile

 

Jaggery en malayalam 

Ce n’est qu’au contact des Sarrasins et au retour de Terre Sainte des Croisés que le sucre apparut en Occident. Avec lui était emprunté le mot arabe سکر /sukkar/, lui-même tiré du persan شکر  /shakar/ « sucre ». Les premiers à avoir transformé la canne en sucre furent les Indiens et c’est du sanskrit शर्करा /śarkarā/ Listen « gravier » que provient le mot persan. 
Après digestion du mot sanskrit par le  portugais jágara nous arrivons à l'anglais jaggery qui désigne un sucre non raffiné.
L’arabe سكر /sukkar/ a transité par l’espagnol azúcar et l’italien zucchero avant de parvenir au français sucre qui a ensuite essaimé dans les autres langues d’Europe occidentale : sugar en anglais, sukker en danois ou Zucker en allemand. C’est de ce mot allemand francisé que provient le nom d’Antonio José de Sucre, lieutenant et proche camarade du libérateur Simón Bolívar. José de Sucre était descendant d’une famille juive bavaroise du nom de Zucker et sa popularité a laissé son nom à la fois l’ancienne monnaie équatorienne (el sucre), à la capitale bolivienne (Sucre), à un état vénézuélien (Estado Sucre) ou à un département colombien (Sucre).

Ce mot sanskrit शर्करा /śarkarā/ « gravier » dérive de la racine indo-européenne *korkeh de même sens. C’est aussi de là que provient le mot grec κρóκη /krókē/ qui signifie lui aussi « gravier ». Quand les Grecs durent nommer le saurien du Nil rencontré en Egypte, ils l’appelèrent crocodile en référence à sa peau : κροκόδειλος /krokόdelos/ Listen « vers (de) gravier (δειλος) ».


13 nov. 2011

Mowgli parle hindoustani, Babar et Chita aussi


Chantre du colonialisme britannique, Rudyard Kipling - l’auteur du « livre de la jungle » - s’est vu reproché son apologie de l’ordre et de la loi en accord avec son idée de la domination anglaise sur l’Inde. Kipling qui estimait que « l’Ouest ne pourrait jamais comprendre l’Est » a néanmoins donné à la plupart de ses personnages un nom tiré d’une des langues de l’Inde. Ainsi, le nom de l’ours Baloo ou Balou provient du hindi
भालू /bhālū/ Listen qui signifie « ours ». C’est ce nom qui avait été choisit pour nommer un des quatre ours slovènes lâchés dans les Pyrénées en 2006 et c'est aussi un patronyme dans le sous-continent indien (baloo, bhaloo). Walt Disney s’est permis quelques divergences avec le livre de Kipling et plusieurs personnages n’y apparaissent plus. C’est par exemple le cas de « mère loup », la louve qui a adopté Mowgli dont le nom Raksha provient du sanskrit रक्षा /rakšā/ Listen« garde » (hindi रक्षक /rakšaka/) comme celui de Chil le milan provient du hindi चील /čila/« milan ».  

Parfois, le nom du personnage s’éloigne un peu de celui de l’animal. C’est le cas du nom de la panthère Bagheera qui vient du hindi बाघ /bāgha/« tigre ». Ce mot a même été utilisé par des scientifiques pour nommer une espèce d’araignée Bagheera kiplingi, mal nommée puisque végétarienne. Le mot hindi qui traduit le mot panthère est चीता /čītā/, un mot emprunté par l’anglais cheetah langue dans laquelle il signifie alors « guépard ». Le mot hindi provient lui-même du sanskrit चिञकाय /čitrakāyah/ qui signifie littéralement « corps (/kāyah/) bariolé (/čitra/) ». Cheetah est un mot parvenu à nous à travers le film Tarzan dans lequel son chimpanzé porte ce nom (Chita).
Sher Khan
 
Le tigre cruel du film se nomme Shere Khan, un mot hindi
शेर /šer/ « lion » suivit du mot turco-mongol Khan « prince ». Le mot hindi a précédemment été emprunté au persan شیر /šīr/ « lion » et le nom Shere Khan a été porté par un Afghan  شیر شاہ سوری Sher Shāh Sūrī dit Sher Khan qui a régné quelques années sur l’empire Moghol. Ce dernier avait été fondé par un souverain nommé Babūr qui porte lui aussi un nom persan. Babūrببر /babr/ signifie « tigre » et c’est lui qui aurait influencé le choix du nom Babar au créateur de cet éléphant régnant.
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Pour finir, le serpent se nomme Kala Nag काला नाग /kālā nāga/ qui signifie « serpent noir », ce नाग /nāga/ étant le même que le mot français naja qui désigne le cobra (Naja naja).

On pourrait continuer longtemps la liste, ce que fait une page de Wikipédia en anglais.